"Sale rousse toi-même."

Nom d’une galette de sarrasin, qu’est -ce que ça faisait du bien ! L’eau coulait à flot sur les membres endoloris d’Harley, qu’elle s’amusait à étirer dans tous les sens. Le bout de ses doigts étaient fripés, et ses cheveux avaient un sale goût de chlore. Ses jambes la portaient à peine, et elle ne rêvait plus que de retourner finir sa nuit dans sa chambre. Mais oui, elle pouvait toujours rêver. Harley venait de passer quatre heures à la piscine municipale, réservée par l‘Université pour l‘occasion, à enchainer deux heures d’endurance physique et deux heures de natation synchronisée. C’était là la nouvelle lubie de sa professeur de danse principale. Syn-chro-ni-sa-tion, s’amusait-elle à répéter à longueur de temps. Et la malchance avait voulu que les deux cours tombent à la suite, épuisant l’organisme d’Harley, profondément malmené par un week-end légèrement surchargé.
Les vestiaires étaient étrangement calme, et seules les gouttes d’eau tombant sur le carrelage résonnaient dans la pièce. La plupart des filles avaient quitté les douches communes dès l’instant où Harley avait fait son apparition. De quoi avaient-elle peur ? Qu’elle les viole sous la douche ? Et puis quoi encore ? Harley était peut être homosexuelle, mais elle savait encore se contrôler. Et détourner les yeux quand il le fallait. Ces pensées eurent bien tôt fait de l’énerver, aussi quitta-t-elle les douches rageusement et s’assit sur le banc en bois des vestiaires pour s’essuyer et finirent de s’habiller. Il fallait encore qu’elle rejoigne l’université où elle pourrait dévorer un bon déjeuner, avant de rejoindre sa chambre où elle finirait sa nuit. Quelques jours plus tôt, elle avait réservé auprès du secrétariat la salle de danse pour répéter une chorégraphie, mais ç’en était fini pour aujourd’hui. Elle n’en avait plus la force.

Il faisait encore chaud dans les rues calmes de la ville, aussi Harley rejoignit-elle l’école à pied, souffrant à chaque pas. Ses jambes auraient été du coton que cela n’aurait pas été différent. Elle tentait pourtant de garder un visage avenant, saluant chaque connaissance qu’elle croisait. Mais il ne faudrait pas lui en demander plus. Car elle atteindrait bientôt ses limites. Ca lui apprendra à ne pas être raisonnable. Intérieurement, elle se promit de se consacrer à ses études pour les dix ans à venir, mais un petit démon intérieur lui fit remarquer qu’elle faisait cette promesse à chaque fois, et que de toutes façons les Lathrop organisaient une soirée mousse jeudi prochain, et qu’elle avait déjà répondu présente. Et c’est ainsi que les meilleures résolutions échoues. Battues par du savon. Et il y en avait une autre qui devrait s’étouffer avec du savon. Harley venait de croiser la tête de souris de Cheyenne dans les couloirs de Vassar, alors qu’elle se dirigeait vers la cafétéria. Elle avait répondu à son salut d’un signe de tête, elle n’en méritait pas plus, mais un sourire factice était venu soutenir le mythe comme quoi deux filles aussi semblables ne pouvaient que s’aimer. Ca, c’est-ce que tout le monde pensa le jour de la rentrée. Mais maintenant, ils savaient.

Arrivée à la cafétéria, Harley se servit une portion impressionnante de pâtes, qu’elle accommoda avec des épinards et un steak sanglant, probablement aussi gros que sa main. Elle avait faim, et aujourd’hui elle aurait pu manger un cheval. Ou, si on lui laissait le choix, une impertinente petite danseuse rousse. Elle rejoignit la table de Hattie, l’une des meneuses du groupe des féministe, et potentiellement « protectrice » de Cheyenne. Aucun doute que la jeune fille allait les rejoindre par la suite. Sa certitude fut confirmée lorsqu’elle vit s’approcher vers elles la jeune rousse, portant dans les mains un plateau, ressemblant à une toile de monochrome vert qu’à un réel plateau déjeuner. Cette fille l’agacera toujours. Etre aussi bornée, ce n’est pas normal. Néanmoins, sans faire plus attention que ça à Cheyenne, Harley continua à mastiquer son steack. On aurait pu voir là une manière de la chercher, mais loin de là. Aujourd’hui, Harley n’était pas d’humeur à se chamailler avec quelqu’un, surtout pour des futilités. Néanmoins, Cheyenne ne semblait pas de cet avis, et elle eut tôt fait d’engager les hostilités.

CHEYENNE -  « elle est horrible... regardez-la, elle le fait exprès ! je rêve.»

Harley releva la tête quand la voix nasillarde et extrêmement fatigante de Cheyenne parvint jusqu’à elle. Ce « elle » horripilant, c’était bien d’Harley qu’elle parlait, la sale garce ? Lâchant d’un geste sa fourchette qui vint tinter dans son assiette, elle croisa ses deux mains et vint y loger son menton. Plongeant ses yeux dans ceux de son interlocutrice, elle adopta un ton et un sourire qui se voulaient compatissant.

HARLEY -  « tu parles de la viande ? hm, comment te dire cela … c’est naturel tu sais ? ça s’appelle la chaine alimentaire … les plantes sont mangées par les animaux qui à leur tour sont mangés par d’autres et encore d’autres animaux, et tout en haut de la chaine alimentaire, au niveau des lions et des loups par exemple, il y a les humains. il n’y a rien de mal à respecter l’ordre établi par la nature, tu sais ? »

Et ayant terminé son petit laïus, Harley récupéra sa fourchette et se reconcentra sur le contenu de son assiette, sans s’inquiéter des murmures qui s’élevaient désormais de la salle.